Agir sur les services numériques

On a pour habitude d’agir de manière ponctuelle et simple sur nos usages en essayant d’adopter des comportements que l’on espère vertueux. Il est cependant un axe d’action que l’on appellera « service numérique » qui nécessite de réfléchir de manière plus large en analysant la totalité des éléments de la chaîne logicielle et matérielle mobilisée et nécessaire à rendre ce service; On pourra par exemple se poser la question des ressources nécessaires à un service de réservation de billet de train ou d’avion, un service de e-commerce d’un petit artisan ou celui plus complexe d’un Amazon par exemple, un service d’organisation de co-voiturage, le site web et les services associés de la mairie de sa commune.

En effet, lors de l’utilisation d’un « service numérique », on mobilise des ressources de manière globale sur l’ensemble de l’infrastructure matérielle, de nombreux logiciels, ainsi que le réseau en générant et en transportant des données parfois sur de très longues distances. Si l’on voulait analyser le coût réel d’envoi d’un mail par exemple, il serait indispensable de connaître à minima les éléments suivants :

  • la proportion d’utilisation de la chaîne matérielle et logicielle utilisée par le mail, en tenant compte évidement du mix énergétique des pays traversés,
  • la taille du mail,
  • son encodage,
  • le nombre de destinataires,
  • le chemin
  • les outils logiciels des clients et des serveurs utilisés pour envoyer et recevoir ces mails (client « lourd » ou client web, Outlook, Thunderbird, postfix, etc…), 
  • le protocole (IMAP, POP3, etc), 
  • le mode de stockage (local ou sur les serveurs).

En clair, connaître l’empreinte environnementale exacte d’un e-mail est une mission quasiment impossible. Il est cependant malgré tout possible de d’estimer l’empreinte carbone globale d’un mail grâce à des outils tel que l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) qui vont permettre par la définition d’un périmètre donné de se faire une idée (relativement précise avec un périmètre étroit ou très moyenne sur un périmètre large) des impacts environnementaux en fonction des hypothèses posées. Le résultat permettra en général de commencer à se faire une idée de l’ordre de grandeur des impacts avec une précision qui dépendra grandement des hypothèses et du périmètre étudié. On n’oubliera pas cependant dans le cas du mail que pratiquement 60 à 70% du traffic numérique mondial est lié à des usages vidéos (voir la rapport du Shift Project sur l’insoutenable usage de la vidéo en ligne) et que se focaliser sur la réduction de l’empreinte de ses mails flirte avec le greenwashing.

On retrouve cette même problématique sur le coût environnemental du transport d’un fichier sur le réseau (passage par des câbles sous marin, des liaisons satellites, distance et nombre d’équipements réseau traversés, etc…), de son stockage vers un cloud. Ici, la distance avec la situation géographique du lieu physique du stockage sera bien sûr prépondérante dans le coût environnemental de ce stockage, la fréquence de l’usage également, sans oublier les aspects liés à la sécurité et la confidentialité, indépendants des problèmes environnementaux mais dont il faudra également tenir compte.

Nous voyons sur ces quelques exemples qu’il est relativement hasardeux de se baser sur des données chiffrées existant aujourd’hui pour prendre des décisions éco-responsables concernant l’usage des services numériques.

Alors, que faire ?

Une fois de plus, il est indispensable de se reposer les questions fondamentales du besoin et de la manière d’y répondre. Si on se réfère à l’idée que l’énergie non consommée (et en réalité, il serait plus juste de parler d’énergie non produite,mais on va considérer par souci de simplification à ce stade que si on baisse collectivement notre demande énergétique, la production s’ajustera à ce mouvement) est celle qui représente la meilleure solution pour l’environnement, les solutions les plus simples pour résoudre le besoin peuvent aller du déplacement physique vers le bureau voisin pour apporter l’information sous forme orale, au dépôt d’une pièce jointe ou d’un document de travail sur un cloud local pour éviter de multiples envois et manipulations par mail. le bon sens et la sobriété doivent guider notre démarche, sachant que le bon sens est parfois trompeur et qu’il ne faudra pas hésiter à garder un esprit critique et une souplesse autour des différentes affirmations que l’on rencontre y compris sur des sites officiels, et y compris ici 🙂

Agir sur les mails (sans oublier que les mails représentent une toute petite fraction, certes chronophage, de nos échanges numériques, ainsi qu’un volume très faible face aux flux vidéos par exemple)

  • éviter les pièces jointes, les images, les signatures lourdes et inutiles,
  • Privilégier le format texte dans les mails,
  • Privilégier le format HTML à une pièce jointe (un compte rendu de réunion peut se satisfaire d’un simple mail HTML au lieu d’un docx ou d’un pdf attaché au mail)
  • Se désabonner des listes (newsletters) non consultées,
  • La question du protocole ou des outils de consultation n’est pas simple à trancher. L’usage, le nombre d’adresses mails à consulter, ou d’autres critères peuvent imposer telle ou telle solution.
  • Trier ses mails au fur et à mesure et supprimer ceux que l’on sait être inutile ou redondant.
  • La fausse bonne idée du nettoyage « mail par mail » de ses anciens mails est probablement plus coûteuse que de laisser les mails dormir quelques temps jusqu’à leur suppression par année entière par exemple (idée intuitive non validée)

Agir sur les visio-conférences

Les outils de visio-conférence se sont rapidement démocratisés au cours de l’année 2020 suite à la crise sanitaire du SARS-Cov2 (Covid-19). Parmi tous les usages du numérique, si la visio-conférence permet d’éviter de nombreux déplacements physiques et de continuer de nombreuses activités intellectuelles et de service, le coût environnemental de la vidéo est extrêmement élevé, principalement à cause de la volumétrie de données induite par les flux vidéos, mais aussi de la surcharge des processeurs l’encodage et le décodage de ces flux. Par ailleurs, la visio-conférence est très loin de remplacer une véritable présence physique et les problèmes d’isolement et de détresse sociale semblent s’aggraver avec la généralisation de ces outils. Même si la plupart des études semblent en faveur de la visio-conférence sur les déplacements physiques (il n’y a pas d’unanimité totale autour de cette question notamment si elle est utilisé sur des situations de déplacements courts sans couper les flux vidéos), il existe pourtant quelques moyens simples de réduire drastiquement le volume des données et le coût du travail des processeurs… simplement en coupant les flux vidéos une fois les présentations faites et en travaillant avec uniquement des flux audio. En résumé, l’action la plus efficace si on est amené à faire des visio-conférences est donc :

  • Privilégier un déplacement physique si on est dans le même bâtiment 🙂
  • utiliser des outils en mode audio seulement ce qui aura en outre l’avantage de permettre aux personnes disposant de peu de bande passante de participer aux visio-conférences transformées en audio-conférences.
  • Privilégier les outils institutionnels (notamment pour des raisons de confidentialité et de respect de vie privée) mais aussi les outils permettant d’inclure un maximum d’utilisateurs et multiplateforme (Linux, Windows et MacOSX, voire Androïd et iOS) : exemple Jitsi (et sa déclinaison Rendez-Vous de Renater au sein de l’ESR) mais aussi BBB pour les solutions de classes virtuelles notamment.

Agir sur le stockage dans les clouds

Le stockage dans les disques partagés dans le cloud sont des actes ayant également un fort coût environnemental. En effet, chaque usage des données distantes induit forcément leur transfert jusqu’au lieu d’utilisation. Un travail sur un outil de partage provoque donc des flux de données vers les différents utilisateurs de ces données.

Il est donc pertinent de se poser la question, là encore, de la distance physique réelle que les données auront à parcourir pour être manipulées. Le nombre de fois ou cette distance sera parcouru aura également toute son importance.

  • Stocker la donnée au plus près de son utilisation pendant sa phase d’usage,
  • Se poser les bonnes questions quant au stockage de courte durée pendant l’utilisation de la donnée ainsi que sa sauvegarde versus son stockage pour de l’archivage en utilisant des formats pérennes et ouverts, compatibles avec les principes FAIR et la Science Ouverte (On pourra consulter également la page Agir sur  les données)

Les autres services numériques : comment agir ?

Nous n’allons pas évaluer ici de manière exhaustive l’ensemble des services numériques possibles et leurs usages. Au travers des quelques exemples précédents, on pourra ainsi réfléchir à ses propres usages en essayant de garder en tête le trio gagnant de notre action pour minimiser les impacts environnementaux du numérique : « Réfléchir », « Refuser », « Réduire ». Introduire, donc, de la sobriété numérique pour diminuer nos impacts environnementaux tout au long du cycle de vie de nos objets numériques mais aussi humains (phénomènes d’addiction, problèmes squelettiques liés à une position assise, soupçons de symptômes autistiques chez les tout petits liés à un usage abusif des écrans en situation passive et trop tôt, harcèlement sur les réseaux sociaux pour les adolescents notamment, etc…)

Je conçois mon service numérique : comment agir ?

Lorsque l’on met en place ou que l’on conçoit un service numérique, il est indispensable d’intégrer une réflexion autour des impacts environnementaux de cette mise en place : le matériel que j’utilise est-il durable et adapté, la chaîne logicielle répond-elle à des pratiques d’éco conception logicielle et les données sont-elle gérée de la bonne manière ? Ce ne sont que quelques questions élémentaires et cet article ne traite pas encore de ces aspects de conception d’un service numérique.