Texte assemblée nationale

Obsolescence, quelques pistes à mettre en œuvre

 

Document initialement créé en vue d’une audition par un groupe de députés socialistes (représentés par Mr Jean-Jacques Cottel et Mme Ericka Bareigts) dans le cadre d’un ensemble de proposition d’amendements liés à la consommation (26 juin 2013), puis complété.

Introduction

Depuis 2006, le groupement EcoInfo du CNRS s’est spécialisé dans la veille technologique et l’analyse des impacts négatifs de premier et deuxième ordre des technologies de l’information et de la communication (TIC). Composé d’une vingtaine de membres issus du monde de l’enseignement supérieur et recherche, le groupe propose des expertises, recommandations, formations, informations aux professionnels et acteurs du secteur des TICs dans le but de réduire l’impact environnemental et sociétal des TICs tout en en gardant les bénéfices.

Dans ce cadre, EcoInfo a analysé les questions de l’obsolescence et propose un ensemble de pistes de progrès.

Considérant que les motivations de réduction de l’impact des TICs sur l’environnement sont déjà connus (pression sur les ressources, pollutions, impacts sur le biosphère, sur la biodiversité et la santé humaine, prédominance de la phase de fabrication), nous rentrons directement dans le vif du sujet que constitue l’obsolescence et rappelons :

  • Que les durées de vie des matériels utilisés dans la vie courante diminuent. Les produits tombent « plus en panne qu’avant ». On a tous vécu des durées de fiabilité bien supérieures. Les industriels ont déjà été capables dans le passé de produire des biens d’équipement durables, y compris des bien qui incluent une part d’électronique. Et les industriels, aujourd’hui, sont capables de produire des biens durables (par exemple équipements pour les satellites, ordinateurs professionnels versus ordinateurs grand public etc.)
  • Que notre groupement propose la notion d’obsolescence systémique qui vient compléter l’obsolescence dite « programmée », bien insuffisante aujourd’hui pour expliquer la croissance des déchets électroniques. Nous parlons d’obsolescence liée au système dans la mesure ou les causes d’obsolescence sont inhérentes au fonctionnement interconnecté des systèmes, logiciels, équipements et êtres humains. Il suffit que l’une des « couches » ne soit plus compatible avec les autres pour générer une réaction en chaine d’obsolescence : un logiciel n’est plus supporté sur telle version de système … et c’est l’ordinateur qu’il faut changer, l’utilisateur souhaite une nouvelle fonctionnalité sur son système de smartphone et c’est le smartphone qu’il faut renouveler ! la plupart que nos équipements et logiciels sont encore fonctionnels ou facilement réparable lorsque nous les jetons. Le marketing et les campagnes publicitaires s’occupant de rendre la « couche humaine » incompatible avec ce qui n’a plus d’intérêt commercial.

Dans ces conditions, lutter contre l’obsolescence impose d’agir sur plusieurs fronts en même temps, sans quoi le risque est de produire les effets contraires à ceux escomptés. Nous proposons 4 pistes d’action :

  • Formation / éducation
  • Affichage d’informations sur la « durabilité de l’équipement », visible de l’acheteur
  • Rénovation (réparabilité et marché de l’occasion)
  • Garanties et responsabilités des constructeurs et du circuit de distribution (matériel et logiciel)

Formation / éducation :

Éduquer des gens à ’réutiliser’ plutôt qu’à chaque fois acheter du neuf (comme le pousse à faire de nombreuses politiques commerciales). Cela passe aussi par l’éducation des plus jeunes. Il serait possible d’ajouter une partie ’fonctionnement d’un ordinateur’ dans le socle commun lié à la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication

(programme de technologie au collège : http://eduscol.education.fr/cid47415/la-maitrise-des-techniques-usuelles-de-l-information-et-de-la-communication.html).

Au-delà de l’éducation des plus jeunes, reconsidérer les filières de formation dans l’enseignement professionnel en proposant des cursus plus ou moins longs sur le thème réparation/électronique permettrait de re-créer localement un vivier de professionnels capables de mobiliser de nouvelles compétences pour prolonger la durée de vie des équipements électroniques. La réparation exigeant des compétences (recherche de pannes, invention de solutions de contournement…) qui sont différentes et humainement plus valorisantes de celles d’exécutant technique habituellement enseignées.

D’une façon plus générale, l’information, l’éducation est nécessaire pour propulser l’idée de durabilité au statut de « mode », condition nécessaire pour contrebalancer les élans compulsionnels d’achat d’objets élevés au rang de « faisant parti de soi ».

Affichage d’informations sur la durabilité de l’équipement

Il existe un indicateur, déjà largement utilisé dans le cadre d’achats professionnels qui permet de se faire une idée de la durabilité du matériel. Il s’agit du MTBF (Mean Time Between Failure). Le MTBF d’un équipement est calculé en fonction du MTBF de chacun de ses composants. C’est le composant le plus « faible » qui fait chuter la valeur du MTBF. Si on contraignait les producteurs à indiquer cette valeur, ou une valeur dérivée à normaliser, ainsi qu’une indication sur le composant qui a le taux de défaillance le plus fort, cela présenterait plusieurs avantages :

  • une responsabilisation des utilisateurs par une sensibilisation à la complexité des questions environnementales : le prix n’est pas le seul critère de décision. Il serait important que la réglementation impose que l’affichage des prix, de la durabilité et de l’empreinte environnementale ne soient pas décorrélés. L’affichage de fait sur les différents types de lampes d’éclairage montrent un peu la voie.
  • une indication sur l’élément qui devra être changé en premier, ce qui permet d’évaluer la réparabilité
  • un avantage concurrentiel au producteur qui présente un plus grand MTBF et de fait, une obligation pour les constructeurs à évaluer les conséquences commerciales de leurs choix de composants.

Rénovation

  • Encourager un secteur de petites entreprises qui pourrait se développer et qui crée de l’emploi difficilement délocalisable, par exemple en appliquant un taux réduit de TVA de la même manière que la rénovation dans le secteur du bâtiment
  • Pour réparer, il faut que l’équipement soit réparable dans des conditions raisonnables (temps de réparation) afin que le coût de soit pas dissuasif. Nous proposons que soient portées à l’échelle Européenne les idées exigences suivantes :
    • obligation de mise à disposition de la documentation technique pour tout acheteur (comprise dans le prix de vente).
    • liste des fournisseurs de pièces détachées disponible.
    • obligation de démontabilité jusqu’au niveau du composant standard du marché (pas de pièces serties, collées, fusionnées).
    • outils de montage/démontage standards (ou fournis avec le matériel)
    • standardisation d’un certain nombre de composants, dont les batteries.

Garanties et responsabilités des constructeurs et du circuit de distribution

Il s’agit ici d’inciter le plus fortement possible les constructeurs à fabriquer des produits durables.

Actuellement, le but de toute entreprise est de maximiser son résultat en respectant les contraintes législatives et réglementaires. Ces contraintes sont là pour fixer les règles du jeu et dans la situation environnementale où nous nous trouvons il est important qu’elles évoluent.

Et pour cela il faudrait accroître la durée de « Garantie légale de conformité ». Pendant cette garantie le constructeur devrait s’engager à fournir tous les moyens nécessaires au processus de rénovation à des prix cohérents avec le prix d’achat initial.

Dans le domaine des TIC on peut séparer pour des raisons de fragilisation d’utilisation les matériels « mobiles » et « immobiles » et l’expérience de la pratique d’utilisation professionnelle, nous fait estimer les durées d’utilisations optimales de ces matériels à 10 ans pour les matériels immobiles et 5 pour les mobiles.

Il serait d’ailleurs de bon ton que les marchés publics donnent l’exemple en exigeant des garanties étendues de ce type dans les appels d’offre.

Cas des logiciels :

Le logiciel étant présent dans tous les matériels utilisant des technologies informatiques, il est indispensable que la garantie couvre la même période et de la même façon. Le système d’exploitation est un exemple critique de par sa fonction centrale.

La non maintenance d’un système d’exploitation oblige à des renouvellements anticipés de parc pour des raisons de sécurité informatique ce qui est en totale contradiction avec l’objectif de maximisation de la durée d’utilisation.

Ceci étant d’autant plus grave que les « logiciels propriétaires » ne fournissent pas de moyens de réparation alors que le logiciel est par définition programmable donc réparable. L’obligation de réparabilité devrait donc s’appliquer : soit le fabricant assume la maintenance, soit il fournit les moyens de le faire.

Pour les logiciels « abandonnés », il faudrait peut-être imaginer un dispositif s’inspirant de « l’exploitation numérique des œuvres indisponibles », avec par exemple l’obligation de l’éditeur de fournir les sources ou à minima l’annulation de l’interdiction d’ingénérie inverse présente dans les contrats de licence.

Conclusion

En conclusion, nous insistons sur :

  • L’urgence à agir (les temps de réaction sont longs par rapport aux échelles de temps d’épuisement des ressources)
  • L’interdépendance entre toutes les « couches » et donc la nécessité de conduire ces mesures en parallèle.
  • L’importance d’agir au niveau Européen sur un certain nombre de points (dont la réparabilité)
  • Les avantages en terme de gisement potentiel d’emploi, localisés au plus près des utilisateurs.

Nous sommes bien conscients qu’il s’agit là de stratégies à relativement long terme, d’où l’urgence de les mettre en route. La durabilité et la réparabilité vont impliquer une restructuration des circuits économiques, avec une diminution des activités liées à la surconsommation et un acroissement de celles liées à la réparation, la rénovation et au recyclage. Ces effets immédiats sont difficilement estimables. Mais si cette transition n’est pas amorcée, l’épuisement des ressources nous prendra de court, provoquant un effondrement général auquel nous ne serons pas préparés. Et il ne faut pas négliger le risque d’événements climatiques ou géopolitiques qui pourraient précipiter l’évolution.