Figure 1. Energie dépensée à chaque étape de la production du cuivre concentré à 0,5% (Norgate, 2010)

L’énergie des métaux

Introduction

Parmi les éléments qui composent un équipement électronique, une grande part concerne les métaux, qu’ils soient pauvres (aluminium (Al), étain (Sn), indium (In), gallium (Ga), plomb (Pb),…), de transition (argent (Ar), cadmium (Cd), cobalt (Co), cuivre (Cu), nickel (Ni), or (Au), tantale (Ta), zinc (Zn),…), alcalins (lithium (Li),…), alcalino-terreux (béryllium (Be),…) ou métalloïdes (silicium (Si), germanium (Ge), arsenic (As),…). Ainsi, 8 à 10% de l’énergie primaire mondiale sert à extraire ou raffiner ces éléments selon Bihouix et de Guillebon [[Bihouix (2010), Quel avenir pour les métaux ? EDP Sciences]], ce qui représente environ 30 000 PJ [[PJ : Pétajoule = 1015 Joules. 1 Joule (J) = 1kg/m2s2 . Un Joule est l’énergie nécessaire pour soulever 100 g (exactement 102 g) de 1 m (sur notre planète). ]] par an pour la production de métaux vierges.

Les besoins énergétiques de l’activité minière

Les besoins énergétiques de l’activité minière sont largement dépendants du type de mine d’où sont extraits les matières premières recherchées. Ils sont plus importants dans le cas de l’activité minière souterraine du fait des opérations de transports des matériaux vers la surface, du pompage des eaux, de la ventilation, de la climatisation des galeries [[Norgate (2010), Energy and greenhouse gas impacts of mining and mineral processing operations. Journal of Cleaner Production 18 (2010) 266–274]]. Une étude a établi un comparatif pour la consommation d’énergie suivant le type de mine [[UNEP (2013), Environmental risks and challenges of anthropogenic metals flows and cycles]] :

  • de 5 à 10 kW/t de matière première pour une mine à ciel ouvert
  • de 20 à 50 kW/t de matière première une mine souterraine

soit environ 4 à 5 fois plus d’énergie consommée pour une mine souterraine que pour une mine de surface. Bien entendu, la profondeur à laquelle on extrait les minéraux influe fortement sur la quantité d’énergie et de matières premières à mettre en œuvre pour les ramener à la surface. Quand on parle d’extraction ultra-profonde (au-delà de 5 000m), que ce soit en souterrain ou au fond des mers, on comprend bien que la quantité d’énergie et de matériel à mettre en œuvre va également croître de manière très importante.
L’énergie nécessaire à l’extraction et au traitement des minerais est le point le plus important à mettre en avant dans l’empreinte environnementale de l’activité minière car la production d’énergie est la principale source de pollution de l’environnement. On peut détailler l’énergie nécessaire au processus global de production des métaux de la façon suivante [[Nilsson, 1982 cité dans SGEM (2007), VII-th International Scientific Conference SGEM2007, 2007-04-27, Sofia, Bulgaria (site consulté le 30/08/2013))]] :

Étapes du processus Énergie indirecte Énergie directe
Extraction et traitement du minerai Production d’agents de flottation(*) Dynamitage et concassage
Fusion et raffinage Production d’acides et solvants Électricité et chaleur
Fabrication du métal Production d’équipements pour la fabrication Électricité

(*) La flottation est un procédé d’enrichissement consistant à faire flotter sélectivement un minerai finement broyé en suspension dans l’eau au moyen d’une mousse formée par injection d’air [[CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/flottation]].

La figure 1 montre la quantité d’énergie engagée à chacune des phase de production du cuivre par pyrométallurgie(**) pour une concentration du métal dans le minerai de 0,5%. Les phases de ce processus sur le schéma sont : l’extraction minière, le traitement du minerai, la fusion et le raffinage. On voit clairement que la quantité d’énergie dépensée concerne principalement et par ordre d’importance, le traitement et l’extraction du minerai.Figure 1. Energie dépensée à chaque étape de la production du cuivre concentré à 0,5% (Norgate, 2010)

(**) La pyrométallurgie et l’hydrométallurgie sont les deux grands processus de séparation du métal de son minerai originel :

  • La pyrométallurgie consiste à chauffer le concentré de métal à haute température; ce processus nécessite la combustion de combustibles fossiles pour les fours de chauffage ou d’électricité pour alimenter un four à arc électrique.
  • l’hydrométallurgie consiste à traiter des minerais ou de concentrés de solutions liquides. Cela se fait généralement par lessivage, par exemple en empilant le minerai dans de grands monticules ou des terrils, ou déversant le minerai dans des réservoirs, et en dissolvant le métal à l’aide des solutions fortement réactives tels que le cyanure, l’ammoniac ou l’acide sulfurique.

Combien d’énergie pour produire les métaux ?

Cette vision globale mérite d’être approfondie car l’énergie nécessaire à l’élaboration des métaux employés dans les TIC varie grandement. Le type de mine (de surface ou souterraine), la concentration du minerai, la profondeur, la pureté, le procédé de traitement et de raffinage, le type d’énergie employée font varier considérablement l’énergie nécessaire pour produire ces métaux. Les graphiques suivants ont été élaborés à partir des données tirées du rapport sur les risques environnementaux de la production de métaux [https://www.resourcepanel.org/fr/rapports/risques-environnementaux-et-d%C3%A9fis-flux-et-cycles-de-m%C3%A9taux-anthropiques].
Pour des raisons d’échelle, nous avons divisé ces données en trois graphiques montrant trois « familles énergétiques » de métaux pour les TIC :

  • Les métaux nécessitant moins de 1000 MJ/kg [[MJ : Mégajoule = 106 Joules]] (figure 1)
  • Les métaux nécessitant entre 1000 et 100000 MJ/kg (figure 2)
  • Les métaux nécessitant plus de 100000 MJ/kg (figure 3)

Figure 2. Métaux natifs nécessitant moins de 1000 MJ/kgFigure 3. Métaux natifs nécessitant entre 1000 et 100000 MJ/kgFigure 4. Métaux natifs nécessitant plus de 100000 MJ/kgOn peut constater sur ces différentes figures que les grands métaux (zinc, plomb, fer (22.5 MJ/kg),…) sont parmi les moins énergivores à produire, alors que les métaux rares et précieux le sont bien davantage.

Énergie et baisse de la concentration

Nous avons parlé dans un précédent article de la baisse généralisée des concentrations des métaux dans les divers minerais constatée sur pratiquement tous les gisements de métaux depuis plusieurs décennies. Quelle influence cela a-t-il sur la consommation énergétique nécessaire pour extraire et séparer les métaux de la gangue qui les emprisonne ? Quelles tendances peut-on tirer pour l’avenir des métaux natifs ?
Comme on peut s’y attendre, la baisse de la concentration de métal dans le minerai engendre une augmentation de la quantité d’énergie nécessaire pour produire (extraire et traiter le minerai) le métal pur (cf. figure 5). Ce qui peut surprendre, c’est la façon dont cela se produit. En effet, on voit clairement sur cette figure que la quantité d’énergie se met à croitre de manière très rapide quand la teneur en métal tend vers zéro.

Figure 5. Relation entre concentration et énergie (Meadows, 2012)

Quand la teneur moyenne d’aluminium dans la bauxite passe de 60% à 5%, l’énergie nécessaire pour produire une tonne de métal pur passe de 50 à 200 000 KWh [[Meadows (2012), Les limites à la croissance (dans un monde fini). Rue de l’échiquier]] [[1Wh (Watt.heure) est égal à 3600 J, i.e. 1 J/s pendant 1 heure]]. En ce qui concerne le nickel et le cuivre, les courbes suivent exactement le même profil comme le montre la figure 6 [[Norgate (2007), Assessing the environmental impact of metal production processes. Journal of Cleaner Production 15 (2007) 838-848]]. L’étude de Norgate en 2007 confirme que le surplus d’énergie consommée quand la concentration diminue est principalement imputable aux étapes d’extraction et de traitement industriel des minerais pour transporter et séparer les matériaux recherchés de la gangue où ils sont présents.

Figure 6. Energie et concentration pour Ni et Cu (Norgate, 2007)

L’étude de Norgate en 2010 [[]] permet de voir que la consommation énergétique engendrée par chacune des phases de production du cuivre selon le procédé pyrométallurgique vu à la figure 1, est fortement corrélée à la concentration du métal dans le minerai. Cependant, cela ne concerne que les phases d’extraction et de traitement du minerai (cf. figure 7). Là encore, on remarque bien sur ce graphique que l’augmentation de la consommation énergétique nécessaire à produire le métal est loin d’être linéaire à mesure que la concentration diminue. Ceci confirme clairement qu’avec la baisse de la concentration, les quantités de minerai à extraire et à traiter étant de plus en plus importantes pour produire la même quantité de métal, il faudra de plus en plus d’énergie pour réaliser ces phases.

La barrière minéralogique

Pour finir cette étude, on peut aller un peu plus loin et mettre en avant une distinction dans l’augmentation de l’énergie nécessaire pour produire des métaux selon leur présence dans la croûte terrestre. Le géologue B.J. Skinner introduit en 1976 la notion de « barrière minéralogique » grâce à laquelle il détermine les éléments abondants pour lesquels l’extraction est réalisable. Cette barrière (connue également sous le terme de modèle de Skinner) précise également la concentration minimale nécessaire pour démarrer une extraction économiquement viable [[Skinner BJ (1976) A second iron age ahead?: the distribution of chemical elements in the Earth’s crust sets natural limits to man’s supply of metals that are much more important to the future of society than limits on energy. Am Sci 64(3):258–269]].La figure ci-dessous montre comment la baisse de la concentration du métal dans le minerai, en franchissant la « barrière minéralogique », fait exploser la consommation énergétique nécessaire à extraire les métaux rares. La différence est nette avec les métaux plus abondants où l’augmentation d’énergie est d’abord à peu près constante avant de s’envoler dans une zone beaucoup plus proche des concentrations minimales.Figure 8. La « barrière minéralogique » des métaux rares (Bihouix, 2010)

Cette notion de « barrière minéralogique » pour les métaux rares met en lumière la facture entropique qu’ils génèrent et par ricochet, les industries high-tech qui y recourent largement. Rappelons en effet qu’entre les années 1980 et 2010, la sollicitation des métaux rares dans la table de Mendeleïev pour ces industries de pointe est passée d’une dizaine à une soixantaine.

Conclusion

Nous avions vu dans l’article sur les matériaux impliqués dans les TIC que le triptyque palladium (Pd), or (Au) et argent (Ar) était responsable de presque la moitié de l’impact global des matériaux impliqués dans la fabrication d’un ordinateur. L’analyse de la dépense énergétique nécessaire à la production de ces trois éléments conforte cette vision. Le platine (Pt), utilisé notamment dans la fabrication des plateaux des disques durs, est également excessivement énergivore à produire. Son empreinte énergétique s’explique par le fait, comme beaucoup d’autres métaux rares, qu’il est extrait à des concentrations faibles (voisines de 0,1%) et doit être ensuite purifié (à 99,9%). La multiplication des fonctionnalités, la miniaturisation des composants et des équipements électroniques sont autant de facteurs qui impliquent l’utilisation de matériaux différents et souvent rares. Or, comme nous venons de le voir, il faut actuellement beaucoup d’énergie pour extraire et raffiner ces matériaux. C’est un point crucial expliquant l’importance de l’énergie grise nécessaire à la fabrication de ces équipements électroniques. Ce point de vue est conforté par les analyses de cycle de vie (ACV) qui placent la majorité des impacts imputables à bon nombre d’équipements électroniques au niveau de la phase de fabrication. Comme nous venons de le découvrir également, cela ne risque pas de s’arranger avec la baisse de la concentration des métaux dans les minerais globalement observée. Pour finir, le point que nous avons fait sur le recyclage des métaux montre combien ce secteur est encore insuffisant, ce qui concourt à poursuivre la production de métal natif pour satisfaire une demande croissante, malgré la montée en puissance des contraintes énergétiques et environnementales.