Matériaux critiques pour l'UE d'ici à 2030

Des matériaux critiques pour l’Union Européenne

Introduction

Les produits de haute technologie nécessitent des métaux rares dont la production est grandement extérieure à la communauté européenne et contrôlée par un nombre restreint de pays dont les principaux sont la Chine, la Russie, la République Démocratique du Congo et le Brésil. Un comité d’experts a rédigé un rapport concernant 41 matières premières indispensables aux nouvelles technologies (électronique, métallurgie, technologies vertes) d’ici à 2030. 14 d’entre elles ont été qualifiées de critiques puisqu’elles font l’objet d’importation à 95% en moyenne pour l’année 2006, qu’elles sont très peu recyclées et que des possibilités de substitution sont faibles. A court terme, c’est l’approvisionnement de ces matériaux qui risque d’être remis en cause avec des conséquences désastreuses pour les activités qui en dépendent.

Définition de la criticité

La disponibilité géologique n’a pas été prise en compte comme critère de criticité dans le cadre de l’étendue de cette étude, mais plutôt un risque de baisse d’approvisionnement (et ses conséquences sur l’économie) plus élevé pour les 41 matières premières sélectionnées que pour les autres matières premières. Deux types de risques ont été pris en compte :

  • la disponibilité : basée sur la stabilité politico-économique des pays producteurs, le niveau de concentration de la production, les possibilités de substitution et le taux de recyclage
  • la protection de l’environnement : l’évaluation des impacts sur l’approvisionnement en matières premières causé par la mise en œuvre de mesures de protection de l’environnement dans des pays de faible performance environnementale [The 2010 Environmental Performance Index (EPI)]

Matériaux critiques pour l'UE d'ici à 2030

Les matières premières particulièrement critiques

Liste des 14 matières premières critiques pour l’UE (par ordre alphabétique) :

Éléments Applications dans les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) Autres applications
Antimoine Micro condensateurs,retardateurs de flamme,écrans CRT Médecine
Beryllium Transistors haute puissance Rayons X, mécanique, magnétisme, nucléaire, acoustique
Cobalt Batteries Lithium-ion Alliages (aimants permanents), catalyse
Fluorite Outils d’exposition Métallurgie, microscopie, optique
Gallium Circuits intégrés Stockage, d’énergie, bio-médical
Germanium Infrarouge militaire Optique
Graphite Évacuation de la chaleur (écrans, ordinateurs et téléphones portables) Métallurgie
Indium Écrans (ITO), semi-conducteurs, soudure sans plomb Métallurgie
Magnésium Métallurgie
MGP* : métaux du groupe du platine :
– Platine Disques durs,fils thermocouples,piles à combustible Catalyse
– Palladium Condensateurs Catalyse
Néodyme Technologie laser Aimants permanents
Niobium Micro condensateurs Alliages métalliques
Tantale Micro condensateurs Alliages métalliques
Tungstène Circuits intégrés (connexion) Métallurgie, catalyse,…

(*) Les métaux du groupe du platine (MGP) regroupent le platine, le palladium, l’iridium, le rhodium, le ruthénium et l’osmium.

En ce qui concerne ces matériaux jugés critiques, leur risque élevé de disponibilité réside dans le fait qu’une grande partie de la production mondiale est concentrée dans quelques pays :

  • la Chine : antimoine, fluorite, gallium, germanium, graphite, indium, magnésium, terres rares, tungstène
  • la Russie : MGP
  • la République Démocratique du Congo : cobalt, tantale
  • le Brésil : niobium et tantale

Dans la majorité des cas, cette concentration de production est conjuguée avec des possibilités de substitution et un un taux de recyclage faibles. Si l’on considère la criticité due à la protection de l’environnement, les terres rares viennent en tête, suivies par le germanium, l’antimoine, le gallium, le magnésium pour les principaux. Les perspectives d’évolution de la demande pour ces matières premières sensibles en 2030 montrent certains de ces matériaux vont connaitre une très forte croissance comme le gallium, l’indium, le germanium, le néodyme, le platine et le tantale pour ne citer que les premiers.

Les matières premières à haute importance économique

Le diagramme présenté ci-dessus a permis d’identifier un groupe de matières premières dont la disponibilité semble moins critique que le groupe précédents, mais dont l’importance économique pour l’UE est jugée importante. En voici la liste, classée par ordre alphabétique :

Éléments Applications TIC Autres applications
Aluminium Électronique,CD,refroidissement CPU et transistors Transport,emballage,construction…
Bauxite Principal minerai permettant la production d’aluminium
Chrome Métallurgie,catalyse
Fer Attaque du cuivre dans la réalisation de circuits imprimés Métallurgie
Magnésite Métallurgie,catalyse
Manganèse Piles alcalines Métallurgie (acier, aluminium)
Molybdène Métallurgie (alliages)
Nickel Batteries rechargeables,disques durs Acier inoxydable,aimants,monnaie
Rhénium Alliages,catalyse
Tellurium Semi-conducteurs,disques réinscriptibles (CD,DVD,Blue Ray) Métallurgie,photovoltaïque
Vanadium Batterie lithium-ion Métallurgie (alliages)
Zinc Transistors transparents (dans les écrans), remplacement de ITO contenant de l’Indium Pneumatiques, Métallurgie (alliages)

Les autres matières premières critiques

Éléments Applications TICs Autres applications
Argent Contacts,soudures sans plomb,condensateurs multicouches Bijouterie,photographie
Argiles Terre cuite,médecine,polymères
Barytes Médecine,pigment,construction
Bentonite Génie civil
Borate Conservation du bois
Cuivre Câbles,fils,connecteurs,transformateurs Construction,transports,machines outils
Diatomite Abrasif,filtre
Feldspath Minéral à base de silicate double d’aluminium, de potassium, de sodium ou de calcium
Gypse Plâtre
Calcaire Construction,fusion du verre
Lithium Batteries Alliages,médecine,verre,céramique
Perlite Sable siliceux d’origine volcanique
Silice Silicium Silicones,photovoltaïque
Talc Pharmacie,médecine,cosmétique,papier

Les recommandations du rapport

Les recommandations du groupe de travail sont de deux ordres : suivi et assistance ainsi que politique pour sécuriser l’accès et améliorer l’efficacité de ces matières premières critiques.

  • Mettre à jour de ce rapport tous les 5 ans, étude des impacts des nouvelles technologies sur la demande
  • Améliorer l’accès aux statistiques de stocks disponibles
  • Encourager la réalisation d’Analyses du Cycle de Vie (ACV) de ces matières premières et des produits qui en découlent du berceau à la tombe
  • Développer la recherche minière dans et hors de l’UE dans des conditions acceptables (bonne gouvernance, durabilité, transparence, amélioration du traitement du minerai)
  • Poursuivre une stratégie politique du commerce des matières premières de manière à sécuriser l’accès aux matières premières importées
  • Promouvoir un recyclage efficace des produits en fin de vie contenant des matières premières critiques
  • Combattre l’exportation illégale de produits en fin de vie contenant des matières premières critiques
  • Promouvoir la recherche sur l’optimisation et le recyclage sur les produits et substances de haute technologie

Notre avis sur ce rapport

Ce rapport corrobore les inquiétudes émises lors de nos études sur les matériaux (terres rares, silicium) ainsi que notre article sur l’épuisement des ressources naturelles. Parmi la liste des 41 matériaux énumérés, une bonne partie est impliquée dans l’industrie des TIC. Au delà de ces constatations, ce rapport met en lumière les lacunes des fabricants d’équipements électroniques en matière d’éco-conception. En effet, il leur faudra développer des techniques pour favoriser le recyclage, économiser les matériaux critiques au même titre qu’ils ont déjà été contraints de s’attaquer à l’emploi de substances dangereuses. Il faudra également que les états de l’Union Européenne fassent de grands efforts en matière de recyclage. Par exemple en France, à peine 20% des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont recyclés [Bilan de la filière DEEE pour la période 2006-2009 et les nouveaux défis fixés pour 2010-2014 – Chantal Jouanno / Ministère de l’écologie]. Or, les DEEE sont un gisement grandement inexploité de ressources. L’exploiter avec une plus grande efficacité permettrait d’économiser les ressources naturelles, de réduire l’impact environnemental engendré par l’activité minière, de minimiser l’impact de la production des matériaux nécessaires à la fabrication des équipements électroniques. Par exemple, produire 1 kg d’aluminium recyclé consomme dix fois moins d’énergie et permettrait une économie de 2 kg d’émissions de CO2, de 0.011 kg d’émissions de SO2, évite 1,3 kg de résidus de bauxite, par rapport à 1 kg d’aluminium issu du minerai [Rapport “Recycling – From E-waste to ressources” du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement)]. Pour terminer, il est inquiétant de voir une quantité de plus en plus importante de DEEE exportés illégalement vers les pays émergents où ils sont traités dans des filières “artisanales” avec de graves conséquences environnementales, pour la santé et sociétales. Ce premier rapport du genre semble marquer une ère nouvelle où il nous faudra bien repenser nos modes de conception des produits, notre consommation et la prise en charge de la fin de vie des équipements.

Nov. 2011 : Le CNRS coordonne le projet européen ERA-MIN

La Commission européenne vient de créer le projet ERA-MIN, un Era-Net sur les ressources minérales non-énergétiques, dites aussi « métaux stratégiques » ou « critiques » pour une durée de quatre ans. Coordonné par le CNRS ce nouveau consortium, lancé officiellement le 8 novembre 2011 à Bruxelles constituera le socle d’un grand réseau européen de la communauté des matières minérales appelé ENERC (European non-energy mineral raw materials research community).

Juil. 2013 : 3 ans après, quelle est la situation ?

Le 10 juillet 2013, le Commissariat à la stratégie et à la perspective présentait son document de travail sur l’approvisionnement en métaux critiques (B. Barreauet al., 2013). Les grandes lignes de cette étude s’inscrivaient dans la continuité du rapport de juillet 2010. Les grandes tendances à souligner sont les suivantes :

  • si l’épuisement géologique n’est pas à craindre dans la plupart des cas (sauf l’antimoine), des tensions sont possibles sur certains matériaux
  • les terres rares légères : tensions en baisse mais une hausse de la demande est probable
  • les terres rares lourdes : tensions persistantes jusqu’en 2016
  • sous-produits (Ga, In, Ge) : possibles ruptures d’approvisionnement prolongées
  • pour tous ces matériaux : marché très volatil et offre inélastique

Dans ses principales propositions, le rapport insiste sur la nécessité de :

  • rechercher sur le territoire des métaux stratégiques (faire baisser la dépendance)
  • explorer les ressources sous-marines (la France d’outre-mer notamment semble dotée de nombreuses ressources)
  • développer l’écoconception, le recyclage, la substitution (diminuer la pression sur les métaux critiques)
  • communiquer chaque année sur les avancées de ce dossier
  • renforcer la formation minière (actuellement ce secteur est en perte de vitesse)
  • favoriser des partenariats entre industriels
  • créer des stocks stratégiques (cela semble compliqué à réaliser)

Cette nouvelle étape confirme la prise en compte de la dépendance de l’UE à l’égard de ces matériaux critiques, c’est une bonne chose. Cependant, c’est un dossier complexe à mener à bien et certainement un travail de longue haleine.

Mai 2014 : la liste passe à 20 éléments critiques

La nouvelle mouture du rapport de l’UE concernant les matériaux d’accès jugé critique passe de 14 à 20 éléments. De la liste précédente publiée en 2011, le tantale a disparu en raison d’une baisse des risques d’approvisionnement. En revanche, le borate, le chrome, le charbon à coke, la magnésite, la roche phosphatée et le silicium métal sont apparus.

Article rédigé en septembre 2010 par Eric Drezet, mise à jour en octobre 2016

Références :

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