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Épuisement des ressources naturelles

Longtemps, les ressources naturelles ont semblé inépuisables et l’humanité ne s’est pas privée de les exploiter. L’Analyse du Cycle de Vie d’un produit, dont nous parlons par ailleurs dans le site EcoInfo, débute par l’extraction de ressources naturelles. C’est un aspect souvent passé sous silence dans le monde des TIC. Il est pourtant crucial surtout si l’on prend conscience que ni les avancées encore balbutiantes en matière d’éco-conception, ni le développement très insuffisant du recyclage des déchets électroniques (DEEE) ne sauront, à court terme, endiguer la demande de plus en plus pressante en matières premières nécessaire pour la fabrication de nos équipements électroniques. Mise à jour : 10/2015 – ED

Les ressources en matières premières ne sont pas inépuisables !

Comme les énergies fossiles, les matières premières nécessaires aux TIC (notamment les métaux) ne sont pas inépuisables. L’industrie électronique en est très friande (métaux, autres matériaux, eau, énergie, …). De nombreuses études se risquent à estimer la probabilité d’épuisement des réserves des matières premières nécessaires à nos économies. Si ces prévisions sont toujours sujettes à débats, des indicateurs factuels montrent clairement que nous avons d’ores et déjà épuisé les gisements les plus faciles, même si les techniques d’extraction progressent.

La baisse des concentrations

La tendance globale de l’évolution des concentrations de métaux dans le minerai est à la baisse depuis plusieurs décennies. La littérature est abondante sur le sujet. Citons, parmi ses nombreux articles, une étude réalisée par Mudd qui présente cette évolution pour les principaux minéraux extraits en Australie, un des grands pays pourvoyeurs de ressources naturelles [Mudd, (2007), An Assessment of the Sustainability of the Mining Industry in Australia. Australian Journal of Multi-disciplinary Engineering, Vol. 5, No. 1, 2007: 1-12]. La tendance générale est clairement à la déplétion pour les minerais étudiés : cuivre, or, plomb, zinc, uranium, nickel, diamants et argent (cf. figure ci-dessous). L’axe horizontal de ce graphique représente l’évolution au cours des années entre 1840 et 2005 ; les axes verticaux présentent la concentration du minerai en pourcentage.

Fig. 1 Évolution de la concentration des principaux minerais en Australie [[]]

Le rapport 2013 du PNUE sur les risques environnementaux liés à l’exploitation des métaux confirme la même tendance pour divers matériaux sur plusieurs pays [UNEP (2013) Environmental Risks and Challenges of Anthropogenic Metals Flows and Cycles, A Report of the Working Group on the Global Metal Flows to the International Resource Panel. van der Voet, E.; Salminen, R.; Eckelman, M.; Mudd, G.; Norgate, T.; Hischier, R.]. Les figures ci-dessous montrent l’évolution de la concentration du minerai pour le cuivre (Cu), or (Au), nickel (Ni) et les métaux du groupe du platine (PGE) :

Fig. 2 Évolution de la concentration du minerai de cuivre dans divers pays [[]];Fig. 3 Évolution de la concentration du minerai d’or dans divers pays [[]];Fig. 4 Évolution de la concentration du minerai de nickel dans divers pays [[]]; evolution_de_la_concentration_du_minerai_des_mgp.jpg Fig. 5 Évolution de la concentration du minerai de métaux du groupe du platine pour certaines compagnies [[]]

L’augmentation de la profondeur d’extraction

Les débuts de l’extraction minière entrepris par l’humanité ont d’abord concerné essentiellement les gisements de surface. L’outillage se perfectionnant, on est allé ensuite explorer à quelques dizaines, puis quelques centaines de mètres de profondeur au XXème siècle, notamment grâce à l’avènement du pétrole. Les dernières évolutions techniques autorisent aujourd’hui de bien plus grandes profondeurs. En voici quelques exemples :

  • pour les mines à ciel ouvert :
    • 1200 m pour la mine de cuivre de Bingham Canyon (USA), (la plus profonde au monde)
    • 800 m pour la mine de cuivre de Chuquicamata au Chili
  • pour les mines souterraines :
    • 3900 m pour la mine d’or de Tau Tona en Afrique du Sud (la plus profonde au monde)
    • 3000 m pour la mine d’or, cuivre, zinc et argent de LaRonde au Québec
    • 2200 m pour la mine de platine et palladium de Merenski Reef en Afrique du Sud
    • 1800 m pour la mine de cuivre, zinc et plomb de Mt Isa en Australie

Déjà en 1977, la profondeur de 3500 m avait été atteinte en Afrique du Sud [Dearing (1997), Ultra-deep level mining -future requirements. The Journal of The South African Institute of Mining and Metallurgy]. Mais aujourd’hui, face à la baisse des concentrations constatées, les compagnies minières s’intéressent de plus en plus à l’extraction ultra-profonde. Ainsi, une compagnie minière opérant en Afrique du sud espère toucher des concentrations d’or de l’ordre de 25g/tonne à des profondeurs de 5000 m, voire plus ! (Mining Weekly.com, 2013). À Tau Tona, la descente en ascenseur vers le front de taille à -3900 m prend plus d’une heure.

La barrière minéralogique

Dans leur ouvrage consacré à l’avenir des métaux, Bihouix et de Guillebon montrent clairement les limites auxquelles nous aurons à faire face pour avoir accès aux métaux rares présents dans la croûte terrestre. La figure ci-dessous expose la situation pour ces métaux dont la distribution des réserves n’est pas homogène [Quel futur pour les métaux? P Bihouix, B de Guillebon – EDP Sciences, Paris, 2010]. Cette distribution présente deux parties distinctes séparées par un trait vertical appelé « barrière minéralogique ». L’axe horizontal du graphique représente la concentration du métal dans le minerai, l’axe vertical les quantités probables. La courbe en cloche de gauche (dans un rectangle rouge) représente les réserves les plus importantes mais à des concentrations très faibles. Les métaux concernés dans cette zone sont essentiellement sous forme de silicates. Au-delà de la « barrière minéralogique », une seconde courbe (dans un cercle rouge), beaucoup moins importante, mais avec des concentrations supérieures permettant l’exploitation, concerne les métaux concentrés par minéralisation géochimique. Nous avons actuellement exploité environ les deux tiers de cette partie. Il ressort de cette distribution que, contrairement à l’idée communément répandue, nous n’avons pas à faire face à un épuisement à court terme des ressources en matière de métaux rares à proprement parler, mais plus précisément à un épuisement de ce qui est techniquement, énergétiquement et économiquement exploitable.

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Une notion nouvelle : la criticalité

Toutes les notions développées plus haut dans cet article peuvent être agrégées dans un concept qui va bien au-delà des aspects géologiques d’un élément à la surface de notre planète. Car ce qui intéresse l’industrie électronique au final est la disponibilité d’une matière première sur le marché pour alimenter ses chaînes de production. Pour définir l’ensemble des causes qui pourrait rendre un élément indisponible pour le marché, un nouveau terme a été défini : la criticalité. Au-delà de la disponibilité géologique, elle inclut d’autres facteurs comme la concentration de la production par un seul pays ou une seule entreprise, la possibilité de substitution, les aspects géopolitiques, la demande du marché, les avancées dans les techniques d’extraction, de séparation des éléments, …
Plusieurs rapports ont tenté de définir la criticalité pour les besoins de leurs auteurs : en 2008 « Minerals, Critical Minerals, and the U.S. Economy » par le U.S. National Research Council, en 2010 « Des matériaux critiques pour l’UE » par l’Union Européenne (mis à jour en 2014), en 2012 « Risk list 2012: An updated supply risk index for chemical elements or element groups which are of economic value » par le British Geological Survey.

Pour aller plus loin, une récente étude [Graëdel et al. (2015), Criticality of metals and metalloids]] propose une méthode tridimensionnelle pour qualifier la criticalité pour 62 métaux et métalloïdes suivant trois axes :

  • les risques d’approvisionnement,
  • les implications environnementales et
  • la vulnérabilité à des restrictions d’approvisionnement

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Les résultats de cette étude montrent que les éléments importants pour l’industrie électronique (par exemple le gallium et le sélénium) relèvent largement des risques d’approvisionnement. Les métaux du groupe du platine, l’or et le mercure quand à eux, relèvent plutôt des implications environnementales alors que les éléments d’alliage de l’acier (par exemple, le chrome et le niobium) ainsi que les éléments utilisés dans les alliages à haute température (par exemple molybdène et tungstène) relèvent de la vulnérabilité à des restrictions d’approvisionnement. Les métaux les plus préoccupants ont tendance à être ceux disponibles largement ou ceux qui sont des sous-produits utilisés en petites quantités pour des applications très spécialisées, et ne possédant pas de substituts efficaces.

Estimations de la période d’épuisement des réserves de métaux rares et précieux

Voici une estimation du nombre d’années de réserves de métaux rares et précieux si la consommation continue au niveau actuel (classés par plage de disparition estimée)[[Dodson et al. (2012), Elemental sustainability: Towards the total recovery of scarce metals. Chemical Engineering and Processing 51 (2012) 69-78]] . Ces périodes indicatives d’épuisement doivent être prises avec une extrême réserve. En effet, la disponibilité géologique d’une ressource est sujette à de très nombreux facteurs : rythme des découvertes, réserves plus ou moins réelles, secret entourant des ressources stratégiques, fluctuation du niveau de consommation, de l’activité économique mondiale, émergence de nouvelles technologies d’extraction, émergence de nouveaux produits consommateurs de ressources, cataclysmes ou conflits affectant la production, spéculation…

  • de 5 à 50 ans :
    • l’indium (In) : utilisé massivement depuis peu dans le cadre de la fabrication des écrans LCD, écrans tactiles des ordinateurs portables, tablettes, téléphones portables
    • le gallium (Ga) : utilisé dans les leds d’affichage, les télécommandes infrarouges, les lecteurs/graveurs de CD, DVD, Blue-ray, disques durs
    • le germanium (Ge) : utilisé dans la Wifi
    • l’antimoine (Sb) : composant de plaques d’accumulateurs plomb-acide (courant secouru), des semi-conducteurs InSb, GaSb utilisés pour la détection dans l’infrarouge, pour les sondes à effet Hall (détection de champ magnétique), dans les processeurs, isolant remplaçant le dioxyde de silicium SiO2, sous forme d’oxyde Sb2O3, il diminue la propagation des flammes dans les matières plastiques
    • le hafnium (Hf) : les gisements exploitables à un coût admissible seront épuisés en 2018. On le trouve dans les processeurs, isolant remplaçant le dioxyde de silicium SiO2
    • l’or (Au) : utilisé dans l’électronique au niveau des contacts pour ses propriétés de conductivité, d’inaltérabilité, d’inoxydabilité et sa finesse
    • l’argent (Ag) : conducteurs, interrupteus, contacts
    • l’étain (Sn) : son succès dans l’industrie électronique est dû à l’abandon du plomb, jugé trop toxique, pour les soudures
    • le zinc (Zn) : il n’a pas une utilité directe dans les TIC, mais l’indium est un de ces sous-produits
    • le rhénium (Rh)
    • l’arsenic (As) : utilisé dans les semi-conducteurs en association avec le gallium
  • de 50 à 100 ans :
    • le cuivre (Cu) : il est essentiellement mis en œuvre dans l’industrie électrique ( câbles, bobinages), mais également présent dans l’industrie électronique
    • l’uranium (U) : essentiel à notre production électrique, ce qui doit nous inciter encore plus à modérer notre consommation par tous les moyens possibles
    • le nickel (Ni) : utilisé dans les batteries (piles bouton pour BIOS, batteries d’ordinateurs portables)
    • le cadmium (Cd) : utilisé dans les batteries
    • le titane (Ti)
  • de 100 à 1000 ans : Cette plage, plus lointaine à l’échelle humaine, présente une grande variété d’éléments parmi lesquels : l’aluminium (Al), le phosphore (P), le chrome (Cr), le sélénium (Se), le tantale (Ta), le platine (Pt), et l’essentiel des lanthanides (autrement appelées terres rares) à l’exception du prométhium (Pm) et du thulium (Tm).

Conclusions

Bien entendu, certaines voix s’élèvent contre ce scénario alarmiste. De nouvelles découvertes sont faites, les techniques d’exploitation progressent. Dans cette bataille d’experts, il est bien difficile de se faire une idée précise de la situation. Mais nous pouvons tirer un certains nombre de conclusions de ces points de vues divergents :

  • les ressources naturelles constituent un stock fini et donc pas inépuisable
  • nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’exploitation des gisements faciles pour de nombreuses matières premières critiques
  • les gisements futurs seront plus difficiles à exploiter (baisse de la concentration, augmentation de la profondeur d’extraction), ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’environnement (un article à ce sujet est en cours de rédaction)
  • il faut absolument réduire notre consommation des matériaux les plus critiques; les pistes les plus prometteuses consistent à leur chercher des substituts, à développer l’éco-conception et à amplifier le recyclage
Livre : « Depuis les temps préhistoriques, le développement de la culture matérielle des sociétés humaines est associé à cette exploitation de la matière minérale concentrée localement dans des gisements exceptionnels qui occupent un infime volume par rapport aux énormes masses de l’écorce terrestre. Pendant des millénaires, cette exploitation minière est restée très marginale par rapport aux ressources naturelles renouvelables d’origines végétales et animales. Mais, depuis la révolution thermo-industrielle du XIXe siècle, l’extraordinaire croissance industrielle des nations dites modernes ou développées, est tributaire d’une exceptionnelle abondance minérale, inséparable du fantastique progrès scientifique et technique de la civilisation capitaliste occidentale. C’est cependant une illusion de la pensée linéaire, de la mythologie moderne du progrès et du développement que de croire cette abondance sans conséquences écologiques et sans limites. » (source « La décroissance, Entropie – Écologie – Économie » – Nicholas Georgescu-Roegen)

Ressources complémentaires